BIG TECH : L'HEURE EST A LA REGULATION PAR LA MULTITUDE
20/09/2019
Face à la toute-puissance des GAFA, les individus et les entreprises doivent reprendre possession de leurs data et réinvestir leur capital digital vers des acteurs librement choisis.
Nous sommes convaincus que nous devons changer le paradigme de la régulation. C’est le point de départ de la réflexion de Sébastien Soriano dans la note de la Digital New Deal Foundation Briser le monopole des Big Tech : réguler pour libérer la multitude que nous publions aujourd’hui : « on ne régulera pas une technologie décentralisée avec une pensée centralisatrice. »
Face à la concentration inédite du pouvoir sur Internet dans les mains d’un petit nombre d’entreprises identifiées, quelle est la nature du contre-pouvoir à adopter ?
Pour permettre l’émergence d’acteurs locaux, porteurs des valeurs humanistes européennes, et pour garantir une liberté́ de choix aux internautes, quel type de régulation devons-nous privilégier ? En tant que think tank, nous avons défendu et continuerons de défendre l’importance d’une régulation descendante et sectorielle ; la taxe sur les services numériques à l’échelle nationale, à laquelle nous avons contribuée via notre publication Fiscalité réelle pour un monde virtuel, en est un bon exemple. Pour autant, nous pensons qu’une régulation plus ciblée et ascendante – une autorité́ propose des règles ciblées pour des acteurs en particulier afin de donner à tous les moyens d’innover – est tout aussi fondamentale.
L’heure est en effet à la régulation par la multitude ; cela passe par la conscientisation des citoyens de leur pouvoir en tant qu’internautes. À ce titre, le Règlement général sur la protection des données (RGPD) confère les moyens juridiques d’inverser le rapport de force entre les individus et les plateformes. Dans cette nouvelle note du think tank Digital New Deal, Sébastien Soriano formule quatre propositions de régulation qui visent à rendre le pouvoir d’innover aux individus et aux entreprises.
Selon Sébastien Soriano, « l’interopérabilité́ est le meilleur moyen de faire face aux effets de réseaux […] et pourrait également donner aux utilisateurs un réel contrôle sur leurs données ».
Fort de ce constat, Mehdi Medjaoui, expert en économie des API [pour « interfaces de programmation applicative »] et fondateur des conférences API Days, propose deux solutions pour limiter le pouvoir conféré aux géants du numérique par leurs API. D’une part, le concept de neutralité des API, qui « oblige les plateformes à donner l’accès à leurs API de données utilisateurs, sans discrimination ».
D’autre part, le droit en tant qu’individu de se faire représenter par une API. S’agissant de cette dernière solution, il est essentiel de traduire de manière technique et fonctionnelle l’article 20 du RGPD sur la portabilité́ afin que les citoyens puissent s’en saisir. Suivant cette perspective, les fameuses data détenues chez ces géants pourraient être récupérées par l’internaute via son API personnelle ; il lui reviendrait alors de réinvestir son capital digital pour data-financer d’autres acteurs. Nous pourrions par exemple décider de récupérer notre historique d’achats chez Amazon via notre API personnelle, où ces données seraient stockées, et les rétrocéder à un acteur comme Fnac.com. Autre exemple, les utilisateurs d’assistants personnels vocaux pourraient décider de récupérer leurs jeux de données afin de les transmettre au Voice Lab, une initiative franco-européenne pour la recherche en langue française. C’est finalement ce que Sébastien Soriano nomme dans sa note le « moment Robin des Bois », à savoir prendre le pouvoir accaparé par les géants du numérique et le redistribuer au plus grand nombre !
Une concurrence plus saine
Judith Rochfeld, docteur en droit de l’Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne, répond quant à elle à l’appel de Sébastien Soriano de considérer les données en tant que bien commun, et se penche sur les différentes hypothèses relatives au partage de données, en proposant deux modèles distincts. D’une part, considérer les données comme des infrastructures essentielles, et d’autre part, instituer un serveur neutre géré par un tiers indépendant. S’agissant de la proposition du président de l’Arcep de prolonger le concept de neutralité du Net aux terminaux, Stefano Quintarelli, ancien membre de la Chambre italienne des députés, s’intéresse aux entraves causées par les équipements sur l’accès à Internet ; à titre d’exemple, il est impossible « d’acquérir, d’installer et de supprimer des logiciels de nos appareils ».
Enfin, Barry Lynn, directeur du think tank américain Open Markets Institute et figure médiatique de la lutte antitrust, voit dans les appels au démantèlement des plateformes un moyen rhétorique puissant pour attirer l’attention du public, bien plus qu’une véritable mesure à appliquer. Il corrobore ainsi la notion de « démantèlement doux » que plaide Sébastien Soriano dans la note.
*
Cette publication apporte ainsi un regard nouveau sur le rapport entre gouvernements, individus et plateformes en permettant un renversement de la relation de souveraineté. Elle permettra, nous l’espérons, d’inverser l’asymétrie qui existe entre les plateformes et les utilisateurs concernant le contrôle et la propriété des données, rendant finalement possible les conditions d’une concurrence plus saine pour nos entreprises, et une véritable liberté de choix pour les internautes.
ÉDITO
Nothing found.