L’émergence des NBIC
(Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et sciences Cognitives) va provoquer un bouleversement majeur du secteur de la santé. Au-delà de la remise en cause radicale du rôle et de la valeur ajoutée du personnel médical, ce sont à plus long terme les caractéristiques humaines qui sont en jeu. Au moment de l’entrée des plate-formistes numériques dans la santé, il est urgent de définir une stratégie européenne offensive pour éviter une perte de contrôle de cette industrie essentielle.
Les principaux points à retenir
- La médecine reposera demain sur le traitement de masses considérables de données. Ce traitement sera réalisé par des machines, marginalisant le rôle et la valeur ajoutée des professionnels de santé.
- La santé risque d’évoluer au rythme des GAFA plus qu’à celui du Conseil d’État et de la CNIL, même si les spécificités réglementaires sont un frein bien réel à la disruption.
- Les NBIC vont déboucher sur le développement de technologies du vivant révolutionnaires, parmi lesquelles l’allongement de la durée de vie, la neuro-augmentation et des techniques très élaborées d’eugénisme.
- Les grandes plateformes du web pourraient dominer l’ensemble des technologies NBIC. La volonté farouche des acteurs de la Silicon Valley de « changer le monde » ne se limite pas au secteur du web mais touche également le secteur de la santé. Les valeurs guidant cet engagement, et notamment le courant transhumaniste, auront des conséquences très difficiles à évaluer. La santé est donc confrontée à un double choc : technologique et idéologique.
- Cette mutation sera désordonnée. Les NBIC se traduisent par de multiples essais et erreurs de nature Schumpétérienne. Google lui-même accepte de nombreux échecs, y compris dans le secteur de la santé (dossier médical électronique par exemple).
- L’affirmation par les leaders de l’économie numérique de la priorité à l’Intelligence Artificielle pourrait rebattre rapidement les cartes (From a mobile first world to an AI world first).
- L’adoption des technologies eugénistes aura deux conséquences.
- Alors que certains pays d’Asie s’affichent d’ores et déjà comme très ouverts à l’utilisation des technologies de transformation de l’humain à des fins de domination économique, d’autres pays, dont la France, privilégient le statu quo.
- Nous pourrions être ainsi doublement distancés : notre population sera en décalage par rapport à celle des zones plus ouvertes à l’innovation, et l’Europe n’aura sur son territoire aucune des grandes entreprises qui domineront l’économie des NBIC.
- La concentration des techniques de santé autour de la donnée permettra probablement aux plate-formistes de prendre le contrôle de la santé et des gigantesques ressources financières qu’elle représente.
- Le business model particulier de ces plateformes repose sur l’accaparement de la valeur créée au détriment des autres acteurs : industriels, distributeurs traditionnels, professionnels de santé et institutions. Leur rencontre avec les spécificités du monde sanitaire pourrait cependant refréner leurs ardeurs.
- Il est encore temps de mener les réformes de fond qui peuvent nous permettre d’affronter sans simplement la subir la révolution NBIC :
- Accompagnement des professionnels de santé.
- Adaptation de l’éducation et de la formation au monde numérique.
- Adaptation du cadre réglementaire et juridique de la santé pour lui permettre de créer un modèle original viable et de faire émerger des champions nationaux et européens. Ce modèle reposera sur la création de plateformes des services de la santé mobilisant à leur avantage les mêmes leviers que ceux utilisés par les GAFA pour asseoir leur hégémonie.
- Tous ces éléments reposent sur une prise de conscience préalable des enjeux par les responsables politiques et économiques.