Le numérique au service d'un futur durable

10/10/2022

Arno Pons – Délégué général la Fondation Digital New Deal
Arno Pons – Délégué général Fondation Digital New Deal

« La “maison brûle”, ne laissons pas le thermomètre entre quelques mains… » Afin d’atteindre les Objectifs de Développement Durable, le think-tank Digital New Deal publie un nouveau rapport proposant que les données ESG, privatisées par 6 grandes compagnies américaines de notations, soient accessibles à tous via un commun numérique.

Histoire parallèle, développement durable et numérique
La Californie des années 1960 fut le berceau de deux mouvements innovateurs destinés à changer le monde : le numérique et le développement durable. Ils ont jusqu’ici vécu des parcours parallèles, pourtant parfois menés par les mêmes personnes au même endroit.

En 1967, un homme, Stewart Brand, incarne à lui seul cet incroyable chassé-croisé entre les révolutions écologique et numérique. L’éditeur du cultissime Whole Earth Catalog (véritable bible idéaliste des communautés geek et hippie) se mobilise pour faire circuler une question autour de lui : pourquoi n’avons-nous toujours pas vu une photo complète de la Terre vue de l’espace ? Quand la NASA répond à sa demande, la diffusion du cliché déclenche une prise de conscience immédiate, proche de « l’overview effect » ressenti par les astronautes. Cette photo vint bouleverser la perception commune de la surface terrestre, de sa fragilité, et marqua le début d’une conscience écologique mondiale. Quelques mois plus tard, le même Stewart Brand filme « The Mother of All Demos ». Cette démonstration événement fit découvrir au public : la souris, l’hypertexte, la visio-conférence, le courrier électronique et l’environnement de bureau. Cette vidéo marqua le début de l’informatique civil comme nouvelle aventure économique mondiale.

En 1990, un autre chassé-croisé nous accable collectivement sur notre inaction. Cette année tout était là sous nos yeux : le premier rapport du GIEC qui décrit précisément les enjeux, l’arrivée d’Internet qui ouvre l’ère du big data, et la publication de « Governing the Commons » par Elinor Ostrom qui donne les moyens politiques de se saisir de cette double transition.

Le rôle des données numériques, extra-financières en particulier.

Pour répondre aux grands défis et enfin entamer une convergence des deux mouvements numérique et écologique, cela passe notamment par le potentiel du « Big et Open Data » comme pourvoyeur d’une finance responsable. Car pour financer la transition écologique de notre économie carbonée, il faut beaucoup d’argent, et beaucoup de data… Il faut par exemple 4 000 milliards par an dans les énergies renouvelables (EnR) pour atteindre la neutralité carbone, d’où l’importance pour l’UE de s’appuyer sur les flux privés pour réussir ce plan de financement. Les données ESG (Environmental, Social & Governance) sont clefs à cet égard, grâce à elles l’information RSE devient « investissable ». Toutefois, contrairement au marché de l’information financière, cette information n’est ni standardisée, ni « certifiable » ni même « vérifiable ». Chaque utilisateur reste libre de la transformer est de l’interpréter selon sa sensibilité et ses priorités. C’est une aubaine pour les spécialistes de la diffusion d’informations financières qui produisent déjà un ensemble d’éléments informationnels : notations, scores, analyses, indices etc.

Asymétrie économique, dystopie écologique
Au sortir de la crise de 2008, on assiste alors à l’émergence d’un nouveau secteur concurrentiel autour de l’ESG. Celui-ci ne tarde pas à se consolider pour aboutir à la formation d’un oligopole composé de 6 groupes ayant absorbé la totalité des acteurs spécialisés. Cela soulève la question de la souveraineté car la captation de ces informations par un groupe d’acteurs privés, au détriment du reste des parties prenantes crée une asymétrie économique qui peut engendrer une dystopie écologique. Il y a en effet une incompatibilité entre d’un côté la poursuite de l’intérêt général et de l’autre les intérêts économiques de cette poignée de grandes agences de notation (on peut parler ici de Big Rating qui trustent et dénaturent le marché du traitement des données extra financières au même titre que les Big Tech le font sur les données personnelles et maintenant non personnelles via leurs offres de Cloud). On peut ainsi se demander en quoi ce marché de la donnée ESG, qui repose sur l’asymétrie d’informations entre les fournisseurs est-il aligné avec la feuille de route globale (ODD) qui impose que tous les acteurs « tirent dans le même sens » ?

L’état des lieux réalisé montre une inadéquation entre la structure de marché et des besoins exprimés par les différents acteurs présents dans l’arène ESG. Le diagnostic posé, celui d’une enclosure sur les données ESG, s’interprète comme un problème de gouvernance des communs.

Commun numérique, possible réponse aux crises

Un exemple inspirant est celui de la création d’un commun numérique suite à l’impuissance des régulateurs à travers le monde qui avient reconnu leur incapacité à identifier les parties prenantes aux transactions lors de la crise financière de 2008. S’en suivra une initiative exceptionnelle du G20 visant à créer un identifiant unique global pour les entités juridiques impliquées dans une transaction financière (Legal Entity Identifier – LEI). Jusqu’alors, les identifiants des entreprises étaient gérés de deux manières, un identifiant délivré par l’organisme national et un autre délivré par de multiples opérateurs privés à vocation globale (Bloomberg, Reuters Identification Code,….). La fragmentation entre les identifiants privés, et leur impossible interconnexions (pour questions commerciales évidentes) s’est révélé fatale. En laissant les acteurs créer leur propre clé de lecture du monde pour des besoins commerciaux, les institutions mondiales ont préféré favoriser la concurrence et l’innovation, tout en oubliant l’objectif de stabilité financière global.

 

Faire des données ESG un commun numérique pour atteindre les ODD
Ce succès du LEI, qui valide la pertinence du modèle de « commun numérique », mérite qu’on s’en inspire pour imaginer une solution du même type appliquée aux données ESG. C’est ce que propose les auteurs Véronique Blum et Maxime Mathon, en imaginant confier la gestion opérationnelle des données ESG à l’ONU via son Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI / WIPO). Cette base de données « fédérée » permettrait alors aux parties prenantes d’accèder gratuitement à des données ESG brutes auditées sur un périmètre global. En construisant ce système de commun numérique, il deviendrait possible de sortir ces informations du marché de l’asymétrie et de libérer leur usage, en ligne avec leur vocation initiale qui est de permettre aux entreprises de rendre compte de leurs efforts en termes de RSE.

Cette proposition est une approche iconoclaste des « Communs » qui sont trop souvent antonymes aux logiques financières. Nous préférons dans nos travaux aborder une approche pragmatique et non dogmatique des communs, en leur donnant un rôle central dans la construction d’un nouveau capitalisme plus ouvert et plus responsable. Selon nous, les communs numériques sont une condition sine qua non de compétitivité, seule la coopération peut nous permettre de nous hisser au niveau des monopoles technologiques.

Cette proposition s’inscrit pleinement dans l’ambition portée par Emmanuel Macron lors du « Sommet pour un nouveau pacte financier global ». Gageons que la communauté internationale s’en saisisse, et que la France prenne l’avant-poste de ce Green-Digital New Deal.

 

Arno Pons, think-tank Digital New Deal, Article complet publié sur le site de La Tribune le 13 juillet 2023 :

Article disponible sur le site de l’Opinion : https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/le-numerique-au-service-d-un-futur-durable-969469.html

ÉDITO

LE NUMÉRIQUE AU SERVICE D’UN FUTUR DURABLE

« La “maison brûle”, ne laissons pas le thermomètre entre quelques mains… » Afin d’atteindre les Objectifs de Développement Durable, le think-tank Digital New Deal publie un nouveau rapport proposant que les données ESG, privatisées par 6 grandes compagnies américaines de notations, soient accessibles à tous via un commun numérique.

Lire la suite


L’Open Source, chance unique de créer une IA de confiance européenne

L’avenir de la France se dessine aussi dans les lignes de code et les algorithmes. Face à la domination des géants américains et chinois en matière d’intelligence artificielle (IA), l’Europe, et la France en particulier, a une carte cruciale à jouer. Il est temps pour la France de prendre les devants et de se doter d’une IA de confiance pour renforcer sa souveraineté numérique et soutenir ses acteurs nationaux.

Lire la suite


Définir les normes, pas les subir.

Certains acteurs politiques et industriels critiquent la normalisation, allant pour les Britanniques jusqu’à justifier du Brexit du fait des contraintes normatives Européennes et du besoin de souveraineté. C’est oublier un peu rapidement que la normalisation est d’une part essentielle à la construction de la confiance et aux échanges économiques dans les pays modernes, et d’autre part que la normalisation est le résultat d’un consensus auquel chaque acteur peut contribuer. De fait, la normalisation n’est pas un objet éthéré qui tombe du ciel, mais le résultat d’un processus ouvert à toutes les organisations.

Lire la suite


La souveraineté numérique n’existe pas

La crise sanitaire que nous traversons aura eu le mérite de faire émerger des solutions, des talents, qui ont pu exprimer leur potentiel lors de ces circonstances exceptionnelles.

Lire la suite


POINT DE CLOUD SOUVERAIN SANS DATA DE CONFIANCE

La crise sanitaire que nous traversons aura eu le mérite de faire émerger des solutions, des talents, qui ont pu exprimer leur potentiel lors de ces circonstances exceptionnelles.

Lire la suite


Pour une IA des Lumières européenne

L’Intelligence Artificielle (IA) est au cœur des préoccupations et des fantasmes, sa simple définition constitue un défi en soi. Il est donc crucial que nous puissions y contribuer, afin de pouvoir offrir au monde une vision européenne, c’est-à-dire humaniste

Lire la suite


RGPD, quatre ans après, enfin l’acte II

A mesure que se développent les outils numériques, l’ampleur de la collecte et du traitement des données personnelles ne cesse d’augmenter. Chez certains, cela a nourri des craintes d’intrusion dans la vie privée, par les États ou des acteurs privés, mais aussi de discrimination, de surveillance ou de manipulation. La réponse réglementaire européenne, le Règlement Général pour la Protection des Données (RGPD), visant à garantir tant la protection des données que leur libre circulation, a été globalement considérée comme salutaire dans le monde entier.

Lire la suite


SERVICE PUBLIC AUGMENTÉ, BÉNÉFICE COLLATÉRAL DU COVID

La crise sanitaire que nous traversons aura eu le mérite de faire émerger des solutions, des talents, qui ont pu exprimer leur potentiel lors de ces circonstances exceptionnelles. Comme en temps de guerre, des héros du quotidien issus de la société civile ont fait la fierté de nos concitoyens. Des infirmières que l’on applaudit, des caissières que l’on remercie, mais aussi… des geeks que l’on gratifie. En faisant chevalier de l’ordre national du Mérite le jeune Guillaume Rozier pour la création CovidTracker et Vitemadose, l’Etat prend acte de sa mue en institutionnalisant la participation des citoyens à la défense de l’intérêt général dont il n’a plus le monopole.

Lire la suite


« Cloud de confiance » : cuisine et dépendance

Les annonces gouvernementales en début d'année sur le « Cloud souverain » semblaient pourtant frappées du bon sens, et ont été d'ailleurs globalement bien accueillies. À un détail près peut-être, mais pas des moindres : la question des licences aux GAFAM. Beaucoup en effet considèrent que c'était ouvrir la porte en grand aux Big techs dont ils étaient supposés nous protéger. Les fervents défenseurs de notre indépendance technologique, économique et géopolitique, dont notre think-tank Digital New Deal fait partie, sont en droit de s'interroger.

Lire la suite


Plateformes numériques : encore un effort pour être responsables !

Le président Trump chassé du réseau. La petite Mila pourchassée sur la toile. « La naissance du monde », célèbre toile de Courbet, interdite ! Chaque jour son lot de nouvelles étonnantes ou révoltantes qui montrent qu’il y a « quelque chose de pourri au royaume » des plateformes.

Lire la suite


Pour un Education Data Hub au service de l’ouverture des données éducatives

Unique distributeur d’applications sur ses terminaux, Apple abuse de sa mainmise sur le marché mobile iOS. Les victimes ? Les éditeurs d’applications, contraints de se plier aux exigences de la plateforme, et les consommateurs, dont la liberté de choix semble en pâtir.

Lire la suite


Monopole de l’Apple Store : la grogne monte

Unique distributeur d’applications sur ses terminaux, Apple abuse de sa mainmise sur le marché mobile iOS. Les victimes ? Les éditeurs d’applications, contraints de se plier aux exigences de la plateforme, et les consommateurs, dont la liberté de choix semble en pâtir.

Lire la suite


« 1 JEUNE 1 PME » : L’EMPLOI DES JEUNES POUR ACCELERER LA TRANSITION NUMERIQUE DES TPE-PME FRANCAISES

L’instauration d’une dynamique nouvelle entre les filières du numérique de l’enseignement supérieur et les TPE-PME pourrait contribuer positivement à la transition numérique des entreprises, en même temps qu’à l’emploi des jeunes.

Lire la suite


UNE GOUVERNANCE POUR LA CIRCULATION DES DONNEES PERSONNELLES

L'article 20 du Règlement général sur la protection des données, qui consacre un droit à la portabilité des données, constitue une des clés pour mettre sur pied une architecture de circulation des données personnelles plus vertueuse que celle qu'ont mise en place les Big Tech.

Lire la suite


DATA : LA SEPARATION DES POUVOIRS POUR CONTRER LA MONARCHIE DES GAFAM

Notre dernière publication propose un modèle concret de partage des données personnelles, centré sur l’individu, offrant ainsi un modus operandi commun aux entreprises et collectivités afin qu’elles coopèrent et innovent.

Lire la suite


QUEL NOUVEAU SOUFFLE POUR L’ETAT PLATEFORME ?

Le besoin d’État s’accompagne d’une demande de transformation des moyens de l’action publique pour en assurer la réactivité, la résilience et la proximité avec les citoyens et les territoires.

Lire la suite


NUMERIQUE EDUCATIF : ET APRES ?

La crise du Covid-19 a mis la résilience du système éducatif scolaire à rude épreuve, notamment pendant la période de confinement. En effet, l’impératif de continuité pédagogique du confinement a conduit à une expérience “grandeur nature” du numérique éducatif dans le milieu scolaire.

Lire la suite


BIG TECH : L’HEURE EST A LA RESPONSABILITE

Alors qu’Internet est devenu l’espace central de la circulation de l’information, il devient crucial d’imposer aux géants du numérique, principaux acteurs d’échanges, un régime de responsabilité à la hauteur de l’influence qu’ils détiennent.

Lire la suite


DEFENDRE NOTRE EXCEPTION EDUCATIVE A L’ERE NUMERIQUE

L’impact systémique du numérique sur la société doit pousser l’Education nationale à sortir de son immobilité, à amorcer une mutabilité pérenne de l’institution scolaire.

Lire la suite


BIG TECH : L’HEURE EST A LA REGULATION PAR LA MULTITUDE

Face à la concentration inédite du pouvoir sur Internet dans les mains d’un petit nombre d’entreprises identifiées, quelle est la nature du contre-pouvoir à adopter ?

Lire la suite


SORTONS DE NOTRE PARALYSIE EN DEMYSTIFIANT LES GEANTS DU NET !

La dépendance à deux systèmes d’exploitation (OS), MS/DOS Windows et Unix/Linux constitue la racine commune des difficultés et effets secondaires négatifs de notre développement technologique actuel.

Lire la suite


L’ADMINISTRATION, LA NOUVELLE AVENTURE ENTREPRENEURIALE ?

Aujourd’hui, l’innovation technologique profite majoritairement aux intérêts privés, et les innovations sociales – aussi prometteuses soient elles – peinent à atteindre une envergure à la hauteur des enjeux de société.

Lire la suite


Privacy Preference Center